Mario Renzo Solinas (Article extrait de la revue " Focus")

Un nouveau défi pour l’artisan sarde qui a participé à la restauration des boiseries de la Fenice (à Venise): refaire une luxueuse villa près des Champs Elysées à Paris pour le compte du prestigieux cabinet d’architectes Design 2000.
Vous rappelez-vous de cette scène du film Good Morning Babilonia (frères Taviani) où les frères Bonanni, partis chercher fortune en Amérique et qui, face aux problèmes des immigrés, lancent, fiers comme tout, «nous sommes les arrière arrière arrière petits-fils de Michel-Ange, ….. »? C’est à cette scène que nous fait penser Mario Renzo Solinas, ébéniste, fils de Maître Mimmiu, qui, un peu comme Maître Geppetto, le papa de Pinocchio, peut faire du bois tout ce qu’il veut. C’est lui, Maître Mimmiu, qui a ouvert l’atelier de sculpture sur bois à Buddusò (près de Sassari, en Sardaigne) avec le soutien d’I.S.O.L.A (Istituto Sardo Organizzazione Lavoro Artigiano) qui depuis sa fondation défend les artisans locaux. C’est lui qui a su transmettre à son fils, Mario Renzo, et à toute une génération, sa passion pour le bois. Quelques années après sa mort, la ville lui a dédié une rue, celle où se tient chaque année le symposium de sculpture sur bois intitulé à «Mastro Mimmiu Solinas».
Mario Renzo a repris le flambeau en 1978. Avec son père, ils s’étaient spécialisés dans la décoration des salles de Conseil, les personnalisant en y représentant la fontaine, le clocher ou tout autre signe distinctif du village ou de la ville. Ensemble, ils en ont fait plus d’une cinquantaine, depuis la première, celle de Buddusò en 1960, en plus d’autels, portails d’églises et autres boiseries d’art. Le prochain chantier, par ailleurs, sera les gravures sur bois du théâtre de Sassari avec les architectes Lubiani et Ticca.
Parallèlement au travail d’ébénisterie, Artintaglio, la société dirigée par Rosalia, la femme de Mario Renzo, et leur fils Giovanni Maria (qui partage le prénom et le jour de naissance avec son illustre grand-père), a mis en place des formations pour les jeunes, poussant encore plus loin les ateliers spontanés de son père : «Les gamins couraient chez lui tout de suite après les cours pour s’essayer à l’art de la sculpture sur bois», dit un de ses camarades de l’époque. C’est au sein même de ces cours, que Solinas forge ses futurs «collaborateurs». Et il ne faut surtout pas lui dire qu’ils sont ses employés : chacun d’entre eux est partie prenante des aventures de l’entreprise, adopté par la famille et par le village tout entier. «C’est grâce à eux, à tous ceux qui ont travaillé, qui travaillent pour nous, que nous avons pu faire ce que nous avons fait». Un noyau dur d’Artintaglio dont font partie la nièce, Maria Villa, et Angelo Beccu, graveurs de pointe, Gianmaria, Nino, Gianni, ébénistes.
C’est grâce au côté rêveur de Solinas qu’ils sont arrivés à la Fenice, même si sa modestie attribue le mérite de cet exploit aux conseils de l’architecte Larner, professeur à l’Université de Venise, et à Antonio Canalis, géomètre et président du Comité Langue Sarde dans le monde.
Quoi qu’il en soit, c’est un rêve qui lui est venu à l’esprit en regardant à la télé les images de la Fenice en flammes et en cendres. C’est à ce moment-là qu’il a pensé : «C’est nous qui allons la refaire !». Il s’est documenté. Pendant des semaines et des semaines, il a lu énormément, il a regardé et re-regardé les documentaires qui passaient la nuit à la télé, essayé de comprendre. Quand le moment de postuler arriva, il avait dans son sac non seulement les œuvres réalisées, mais aussi et surtout dans la tête une réelle connaissance des lieux et du travail de ses illustres prédécesseurs. Cela tombait fort bien : la devise, pour la SACAIM, chargée du chantier, était «où elle était et comme elle était». Comme ils étaient et où ils étaient, Artintaglio a refait une trentaine de colonnes, 500 palmiers, 400 fleurs, 15 glaces, etc. En bref ils ont refait presque entièrement le foyer. «Je n’ai rien inventé, nous n’avons que refait l’existant», se défend Solinas.
Comme le Phénix qui renaissait de ces cendres, la Fenice a revu le jour, identique à l’original.

De Venise à Paris avec Design 2000
Le Plénix, le Phénix arabe … Une drôle de coïncidence qui a amené Artintaglio à travailler pour un cabinet d’architectes très réputé au Moyen-Orient, Design 2000 de Rome. Né dans les années 70, quand encore le mot « deux mille » évoquait le futur et l’avant-garde, il s’est très vite spécialisé dans la vente de meubles et les projets d’intérieur pour les pays arabes, m’explique l’architecte Magliocchetti à Rome. Cela a été possible grâce à la contribution de collaborateurs «géniaux». Dans l’esprit ils sont très proches de l’atelier Mimmiu : Design 2000 travaille aussi comme à l’époque de la Renaissance, en faisant venir matériaux et artisans de l’Italie. Actuellement ils ont trois gros chantiers à Paris, dont une somptueuse villa datant de 1812, près des Champs-Élysées. Et voilà que Solinas et son équipe de collaborateurs ont été appelés à restructurer toutes les boiseries, notamment la bibliothèque et l’escalier, qui sont finement sculptées.
Ils sont donc venus passer de longs séjours à Paris. Difficile ? «Un peu, mais nous les sardes, on peut toujours compter sur les communautés d’émigrés. L’association Art et Culture en Sardaigne et sa présidente, Giusy Porru, nous ont beaucoup aidés. Ils nous ont fait nous sentir chez nous. Des gens comme Giusy Porru sont un phare pour les sardes à l’étranger».
Comme quoi tout est histoire de racines. Racines d’un art, transmis de père en fils et racines d’une terre qui rapprochent.
Patrizia Molteni.

Pour en savoir plus:
www.design2000.it
www.artintaglio.com